Bonjour à toutes et à tous, nous espérons que vous avez passé une bonne semaine et bienvenue dans votre dernière dose d'actualités en affaires publiques de l'année 2023 offerte par le cabinet VOXA. Voici les éléments qu'il ne fallait ne pas manquer cette semaine :
L’instant réglementaire
Loi sur l'immigration : Ces mesures qui pourraient être censurées par le Conseil constitutionnel
Certes, nous sommes les premiers à vous avoir annoncé cette loi sur l'Immigration et l'Intégration comme LE moment politique de cette rentrée. Certes, nous vous avons vendu un roman sans fin et pensions ne plus y revenir… Et pourtant, cet épisode d’OSS 117 « Beauvau ne répond plus » nous offre encore du grand spectacle… Le gouvernement a lui-même reconnu que le texte qu’il a fait adopter mardi soir comprend des mesures anticonstitutionnelles (!!). Mais ce sera aux Sages de la rue de Montpensier d’en décider, le mois prochain. Le Conseil constitutionnel sera-t-il la « voiture-balai » du gouvernement, comme le dénonce le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure ? Dès mardi soir, lors des débats sur le projet de loi sur l'immigration, le ministre de l’Intérieur, (qui n’est plus à un contre-pied près dans cette affaire...) Gérald Darmanin, concédait que le texte issu de la commission mixte paritaire qu’il défendait au Parlement comporte des mesures « manifestement et clairement contraires à la Constitution ». Depuis son adoption par les députés et sénateurs, syndicats et associations s’indignent d’une loi qui est, à leurs yeux, contraire aux valeurs de la République, et en appellent à l’intervention du Conseil constitutionnel, annoncée par Emmanuel Macron et confirmée mercredi. Vous suivez toujours ? On vous explique :
Quelles sont les mesures les plus sensibles ?
- L'instauration de "quotas" fixés par le Parlement
Au premier rang des mesures menacées de censure, la droite a obtenu dans le texte l'instauration de "quotas" fixés par le Parlement pour plafonner, "pour les trois années à venir", le nombre d'étrangers admis sur le territoire. "Inconstitutionnel", aux yeux du camp présidentiel, car cela constituerait une "injonction" du Parlement à l'exécutif et une "discrimination" entre deux étrangers dans des situations similaires, mais séparés par le "seuil" du quota.
- Durée de résidence minimale pour toucher des prestations sociales
Autre disposition hautement sensible : la conditionnalité pour que des étrangers en situation régulière accèdent aux allocations familiales - cinq ans de résidence en France pour ceux qui ne travaillent pas, trente mois pour les autres - ou à l'aide personnalisée au logement (APL), cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas et trois mois pour les autres. Les détracteurs de la mesure y voient une rupture d'égalité devant la loi. Ses défenseurs arguent qu'une condition de résidence de cinq ans existe déjà pour les étrangers qui veulent obtenir le RSA.
- La "caution étudiant" pour couvrir les coûts d'éventuels "frais d'éloignement"
Même débat sur une éventuelle "rupture d'égalité" de la "caution étudiant", une somme à déposer par les étrangers demandant un titre de séjour "étudiant", poussée par la droite là encore.
- Durcissement des conditions de regroupement familial
La réponse du Conseil sera également scrutée sur le durcissement du regroupement familial, dont la nécessité pour le demandeur de disposer d'une assurance maladie, ou que son conjoint à l'étranger ait 21 ans au minimum plutôt que 18.
- Condition d'un niveau de français élémentaire pour le conjoint
Élisabeth Borne a semblé critiquer l'ajout d'une condition de niveau de français élémentaire pour le conjoint : "Si vous épousez demain matin un Canadien ou un Japonais, il ne peut pas rejoindre la France s'il ne parle pas bien français, on va interroger le Conseil constitutionnel". "Pour les couples mixtes, les conjoints de Français, il y a des restrictions sans précédent, totalement disproportionnées que le Conseil constitutionnel pourrait censurer", estime Serge Slama, professeur de droit public et spécialiste du droit des étrangers.
- Restriction du droit du sol
Il relève par ailleurs que des dispositions comme "la restriction du droit du sol pour les enfants d'étrangers nés en France" pourraient être considérées comme des "cavaliers législatifs", sans lien avec le projet de loi.
Décryptage
Les Départements de gauche peuvent-ils déroger à la loi ?
La fronde contre la loi sur l'immigration s'est étendue mercredi aux départements français dirigés par la gauche. Dans un communiqué commun, le groupe de gauche de l'Assemblée des départements de France a annoncé qu'il désobéirait à certaines mesures du texte les concernant. Explications.
L'opposition des départements a débuté mercredi après-midi du côté du Lot. Historiquement à gauche, il a été le premier à s'opposer aux nouvelles modalités de versement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).
Pour rappel, cette aide est destinée aux personnes touchées, pour des raisons variées, par une perte d'autonomie. Elle « sert à payer (en totalité ou en partie) les dépenses nécessaires pour vous permettre de rester à votre domicile », décrit le site service-public.fr. Elle est versée aux personnes ayant au moins 60 ans, résidant en France de « façon stable » et ayant « besoin d'aide pour accomplir les actes de la vie courante, ou un état de santé nécessitant une surveillance constante ». Cette prestation est à la charge des départements, chargés d'étudier la situation des demandeurs et de décider s'ils remplissent ou non les conditions pour l'obtenir.
Or, la loi sur l'immigration votée mardi à l'Assemblée instaure, dans son article 19, un délai de cinq ans pour les étrangers non-européens en situation régulière qui ne travaillent pas, et de trente mois pour les autres, avant d'être éligibles à des prestations comme les allocations familiales ou l'APA.
La contestation s'est ensuite étendue à la Seine-Saint-Denis et à Paris, avant que les départements gérés par des exécutifs de gauche (PS, PRG, EELV et DVG) déclarent dans un communiqué commun du groupe de gauche de l'Assemblée des départements de France qu'ils « n'appliqueront pas » le durcissement des conditions de versement aux étrangers de l'allocation personnalisée d'autonomie. Si tous les présidents de départements de gauche ne se sont pas encore exprimés, la fronde devrait concerner une trentaine de départements au total.
Des annonces qui posent question. Les départements ne peuvent pas se soustraire à la loi. Des compétences précises et définies leur sont attribuées. Ils pourraient donc être mis en demeure par le préfet. Quand une compétence est transférée à une collectivité locale, l'État n'a plus le droit d'y mettre son nez. Mais les collectivités doivent tout de même respecter les lois et les décrets. Cela n'empêche pas le bras de fer, car si un préfet constate l'illégalité d'un acte, il n'est pas en mesure de l'annuler lui-même. Quand, par exemple, un maire refuse d'organiser une élection, le préfet peut le faire à sa place, c'est assez simple. Mais dans le cas de l'allocation personnalisée d'autonomie, c'est plus compliqué. Le préfet pourra déférer l'acte au tribunal administratif, mais cela prendra du temps... Une question prioritaire de constitutionnalité pour régler cette affaire ?
Sur la scène politique :
Un Macron remanié à la sauce européenne ?
La présidence de François Hollande s’est achevée après les attentats de novembre 2015, lorsqu’il a voulu instituer la déchéance de nationalité, qui a fracassé sa majorité. Le deuxième quinquennat de Macron, réélu le 24 avril 2022, a peut-être pris fin le jour où cette loi sur l'immigration a été adoptée, grâce à la bénédiction astucieusement empoisonnée du Rassemblement national, loi contre laquelle ont voté des macronistes de la première heure, dont la gueule de bois n’a pas attendu le réveillon.
Qu’Emmanuel Macron, avec son art de la contorsion, son talent oratoire, sa virtuosité intellectuelle et son nomadisme idéologique, réussisse à se raccrocher aux branches esquintées de son mandat et à empêcher la dislocation de son camp, voire de son gouvernement, comme il l’a fait lors de son intervention plutôt réussie et pédagogique dans "C à vous", le constat est le même : les lignes ne sont toujours pas claires et l’horizon plus lointain que jamais.
Cette nouvelle opération de communication ayant des sérieux relents de feu « les 100 jours », le remaniement ministériel de janvier devient plus que jamais concret (avec, dans la charrette, les 6 ministres mutins sans aucun doute).
En fait, depuis sa réélection, Emmanuel Macron n’en finit plus de lancer et de relancer ce quinquennat chaotique, mal emmanché dès le départ. Faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale, mais aussi faute de boussole. Beaucoup, au sein même de la majorité, déplorent une absence de cap clair. Sur plusieurs sujets, l’immigration, l’environnement, la laïcité, et d’autres, il s’est comme perdu dans les zigs-zags du "en même temps", à dire un peu tout et son contraire. Pour se refaire une santé, le chef de l’État mise donc, notamment, sur son engagement européen.
Sur ce thème-là, il n’a pas varié. Autant le macronisme semble parfois flou, autant l’Europe fait partie de son ADN. Dès sa campagne de 2017, le candidat Macron se revendiquait viscéralement pro-européen. Ses supporters brandissaient des drapeaux européens dans ses meetings. L’Ode à la joie, l’hymne officiel de l’UE, accompagna ses premiers pas en public au soir de ses deux victoires présidentielles, sans oublier ses discours enflammés d’Athènes ou de la Sorbonne à l’automne 2017. Au fil des crises, il a perdu de sa fougue et a davantage plaidé pour une Europe protectrice, face au Covid, au défi migratoire ou à la menace russe. Le chef de l’État s’est même converti à la défense de la souveraineté européenne. Mais sur le fond, il ne dévie pas. Il veut conforter l’intégration, et réformer le fonctionnement de l’UE pour aller plus loin.
Un discours qui n’est pas dans l’air du temps en Europe, d’où le lourd défi, un de plus, qui se pose au Président. Car un peu partout, les partis d’extrême droite anti-européens progressent. Et accèdent parfois au pouvoir, comme aux Pays-Bas ou en Italie. La France n’échappe pas à cette tendance illustrée par la montée en puissance de Marine Le Pen. Et pourtant, alors que la tête de liste du RN, Jordan Bardella, caracole en tête des sondages pour les élections européennes du 9 juin, la majorité macroniste n’a toujours, pour l’heure, ni chef de file, ni liste, ni projet. L’Europe et l’Économie comme acte II de ce nouveau-nouveau-nouveau départ ? Bruno Le Maire et Thierry Breton ont déjà bloqué leur agenda pour le 17 janvier 2024, direction Matignon, en tout cas !
Le politique de la semaine :
L'honneur défend des actes que la loi tolère. - Sénèque
Aurélien Rousseau, né le 25 juin 1976 à Alès, France, est un haut fonctionnaire français et membre du Conseil d'État. Il a débuté sa carrière en tant qu'enseignant avant d'évoluer dans le monde politique et administratif, occupant des rôles clés à la Ville de Paris et auprès de Premiers ministres tels que Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Directeur général de l'Agence régionale de santé Île-de-France, il a joué un rôle important pendant la pandémie de Covid-19. En 2023, il est devenu Ministre de la Santé et de la Prévention, mais a démissionné suite au vote du projet de loi sur l'immigration. Homme de gauche, il avait annoncé qu'il démissionnerait si le texte était adopté, et a tenu sa parole. Suite à cet acte, l'exécutif a tenté de minimiser son départ, et Rousseau ne s'est pas présenté au conseil des ministres.
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